Exercice d’écriture inspiré de « JH cherche fusil » par Aude Sabin.
Le son des grillons emplit le silence. La table est dressée, il est 19 heures. Maman s’est démenée toute la journée pour préparer ce repas. Elle a fait mariner la viande à grillades, fait revenir les légumes, a sorti la bière, le vin (de l’hydromel, le préféré d’Evangeline, ce soir est un grand soir, voyez-vous) et les verres en cristal.
La nappe, faite main, maman travaille pour sa famille.
Elle est à ses ordres, a sacrifié sa liberté pour être mère au foyer et on lit parfois le regret dans ses yeux, comme ce soir.
Elle est seule à table, a appelé la famille, les attend en écoutant le chant des grillons.
Ce soir est un grand soir, qu’ils arrivent, tous !
Evangeline, anorexique, a accepté de partager un repas avec maman, Oto-san et Julien.
Ça n’est pas arrivé depuis Noël. Nous sommes au neuvième mois de l’année. Oto-san arrive. Indifférent aux efforts de maman. Il est encore plongé dans ses soucis, ses tourments. Oto-san fait griller la viande. Maman désespère de voir ses enfants arriver.
Peut-être Eevee a-t-elle fait une promesse en l’air comme souvent.
Dix minutes, vingts, elle ne vient pas.
Qu’elle mange, la pauvre petite, c’est le plus important pour maman.
L’inquiétude d’une mère voyez-vous.
Eevee a 15 ans, Julien 17. Enfin il arrive. Julien et Oto-san s’évitent du regard. Ils ne sont pas sur la même longueur d’ondes, c’est même l’opposé. Julien est autiste, Eevee précoce (pour ne pas dire surdouée). Tous deux voient trop de ce monde et de ces gens qui méritent le titre de serpents et n’y sont pas à leur place et le haïssent.
Maman désespère de voir Eevee arriver.
Ils se mettent tous trois à table.
Ils se ruent sur le festin, les hommes de la famille. Maman attend Evangeline avec impatience.
Et elle est là. Avec ses cheveux teints, son tatouage au bras, ses piques, sa maigreur, sa pâleur, ses cernes.
Rien ne va dans cette famille.
Elle allume une clope, s’assied et les regarde se baffrer. Elle se sent étrangère à cette famille. Elle les aime sans doute mais les hait tout autant. Oto-san prend la parole. Bien sûr, il s’adresse à la mauvaise personne.
– Julien, tu me passes les grillades pour ta sœur, s’il te plaît ?
– Sans vouloir t’offenser, sale boche, va profondément niquer ta mère la reine des putes.
– Ça tombe bien, je n’ai pas faim, dit Eevee
– Julien ! crie maman.
Mais tous restent sourds et muets.
Eevee ment. Elle n’a rien mangé depuis trois jours. Mais ne supporte plus cette ambiance aux repas.
Oto-san n’est pas asiatique, il est d’origine germanique, mais a vécu au Japon donc elle l’appelle comme ça. Elle se lève, allume son joint, n’est restée à table que 5 minutes. Elle prend son verre de vin et s’en va.
Rien ne va dans cette famille.